L'Architecture scolaire durable au Maroc : un acte éducatif à part entière
Par un architecte expérimenté dans les environnements d'apprentissage
Après plus de trente ans de pratique dans l’architecture, principalement autour de projets éducatifs et publics, une conviction s’est consolidée : concevoir une école, c’est participer à l’éducation. Loin d’être un simple exercice fonctionnel ou règlementaire, l’architecture scolaire est une responsabilité culturelle, sociale et environnementale.
L’école, matrice de la société de demain
L’espace scolaire est souvent le premier lieu collectif que fréquente un enfant, en dehors de sa cellule familiale. C’est là qu’il apprend à vivre avec les autres, à comprendre le monde, à développer son esprit critique et sa créativité. L’architecture, en tant que cadre de vie et de pensée, doit soutenir cet apprentissage.
Une école bien conçue peut favoriser l’inclusion, la concentration, la mobilité, le respect de l’environnement, et même la fierté d’appartenir à une communauté. À l’inverse, un bâtiment scolaire négligé ou mal adapté peut étouffer les dynamiques pédagogiques et accentuer les inégalités.
La durabilité : bien plus que des matériaux écologiques
Quand on parle d’architecture durable pour les écoles, il ne s’agit pas seulement d’opter pour du bois certifié, des panneaux solaires ou une ventilation naturelle (bien que tout cela soit important). Il s’agit d’intégrer une vision à long terme : penser le bâtiment comme un organisme vivant, capable d’évoluer avec les besoins pédagogiques, démographiques et climatiques.
Quelques principes fondamentaux de durabilité scolaire :
Flexibilité des espaces : modularité des classes, cloisonnements réversibles, espaces de travail informels… pour accompagner les transformations pédagogiques.
Sobriété énergétique : conception bioclimatique, orientation des ouvertures, inertie thermique, récupération d’eau de pluie, économie circulaire.
Santé et confort : qualité de l’air intérieur, lumière naturelle, acoustique maîtrisée, choix de matériaux non toxiques, gestion de chantier.
Ancrage local : insertion dans le tissu urbain ou rural, valorisation des savoir-faire et matériaux locaux.
Participation des usagers : inclure enseignants, élèves et personnel dans la conception – pour que le lieu soit approprié, respecté et aimé.
L’architecte : un médiateur entre pédagogie et territoire
Chaque projet d’école est une rencontre entre une vision pédagogique, un territoire spécifique et des enjeux environnementaux. Notre rôle, en tant qu’architectes, est d’écouter les besoins exprimés et non exprimés, de traduire une ambition éducative en langage spatial, et de négocier les contraintes techniques et économiques sans céder sur le sens.
La collaboration avec les enseignants, les collectivités et les enfants eux-mêmes est au cœur de cette approche. Une école durable n’est pas seulement construite pour eux, mais avec eux.
L’école comme manifeste de notre avenir
Chaque école construite aujourd’hui est un message envoyé aux générations futures. En tant qu’architecte engagé dans ce domaine, je suis convaincu que l’architecture scolaire durable est une des expressions les plus nobles de notre métier : elle façonne non seulement des espaces, mais aussi des consciences.
C’est dans cette perspective que je continue à concevoir, année après année, des établissements qui font le lien entre écologie, pédagogie et citoyenneté.
Une introduction stratégique sur l’intelligence bioclimatique avant les labels
Dans un pays comme le Maroc, confronté à des conditions climatiques contrastées et à une transition énergétique en cours, l’architecture scolaire durable ne peut se limiter à une simple recherche de certifications. Elle doit valoriser d’abord l’intelligence du projet, la capacité des architectes et ingénieurs à concevoir des espaces adaptés à leur environnement.
Convaincre par l’intelligence architecturale : concevoir une école durable et confortable au Maroc
En tant qu’architecte spécialisé en durabilité, je considère que chaque bâtiment que nous concevons est une opportunité d’améliorer le quotidien de ses usagers, mais aussi d’optimiser l’investissement à long terme. Lorsqu’il s’agit d’un établissement scolaire, cette responsabilité prend une dimension encore plus forte : nous construisons un environnement d’apprentissage, un lieu de mémoire, un repère pour des centaines d’élèves et d’enseignants chaque jour.
1. Un climat exigeant, une réponse architecturale intelligente
Le Maroc est un pays aux conditions climatiques variées et parfois extrêmes : étés très chauds, hivers froids dans certaines régions, vents forts, et ensoleillement important. Plutôt que de subir ce climat, l’architecture peut le mettre à profit. Une école bien conçue, bioclimatique et sobre, peut :
réduire les besoins en climatisation et chauffage jusqu’à 60 % ;
offrir un confort thermique naturel aux élèves toute l’année ;
améliorer la concentration, la santé et le bien-être des usagers ;
diminuer les coûts d’exploitation et d’entretien sur le long terme.
2. Moins d’énergie, plus de qualité
Investir dans une architecture intelligente, ce n’est pas construire plus cher, c’est construire mieux dès le départ. Cela implique :
une orientation optimale des bâtiments pour capter ou éviter le soleil selon les saisons ;
des matériaux locaux à forte inertie thermique (terre crue, brique, béton allégé, bois marocain...) ;
des dispositifs simples comme les auvents, les patios, les cours intérieures végétalisées, les brise-soleil, les ventilations traversantes.
une isolation ciblée et des protections solaires passives, surtout sur les façades sud et ouest ;
la récupération d’eau, l’éclairage naturel maximal, et l’intégration d’énergies renouvelables là où cela est pertinentes.
3. Un environnement agréable, propice à l’apprentissage
L’environnement physique influence directement la réussite scolaire. De nombreuses études montrent que les enfants apprennent mieux dans des espaces :
lumineux naturellement mais sans éblouissement ;
calmes, avec une acoustique maîtrisée ;
ventilés naturellement, avec un air sain ;
accueillants, conçus à leur échelle, avec des couleurs et matières apaisantes.
Dans un pays comme le Maroc, où les écoles sont parfois confrontées à des défis de confort thermique ou d’hygiène, une architecture durable est un investissement social autant que technique.
4. Un projet exemplaire, valorisé à long terme
En optant pour une école à faible consommation d’énergie et à haute qualité environnementale, le maître d’ouvrage :
réduit ses coûts d’exploitation sur 20 à 30 ans ;
bénéficie d’un bâtiment résilient face aux évolutions climatiques ;
valorise son image auprès des partenaires, usagers et institutions ;
peut même accéder à des subventions ou à des partenariats publics/privés sur les projets pilotes ou innovants (selon le cas, certaines régions ou ministères soutiennent les écoles durables).
Construire intelligent, c’est construire pour aujourd’hui et pour demain
Convaincre un client au Maroc, c’est lui démontrer que l’architecture durable n’est pas un luxe mais une stratégie rationnelle : elle permet de mieux dépenser, de mieux enseigner, et de mieux vivre.
En tant qu’architecte expérimenté, je m’engage à concevoir une école qui soit à la fois adaptée au climat marocain, responsable sur le plan énergétique, et profondément humaine dans sa relation aux usagers.
Une étude de cas du lycée Descartes à Rabat (ARPIO Architects)
Nous donnons ici comme projet modèle de projet scolaire durable réalisé au Maroc :
Le projet de l’extension du lycée Descartes à Rabat, conçu par ARPIO Architects, en est une illustration éloquente : sans label thermique, il exploite pleinement des concepts bioclimatiques traditionnels — orientation optimisée, ventilation naturelle, patios végétalisés, brise-soleils, matériaux locaux à forte inertie thermique — pour offrir un confort d’usage optimal, été comme hiver.
Le lycée Descartes à Rabat, un projet innovant et durable qui a été publié sur ArchDaily(1030378 -1er juin 2025) et A+E Magazine( 10 septembre 2024). Voici quelques détails sur ce projet :
Concept : livré en 2022, le lycée Descartes a été conçu autour d'un patio central, parfois planté, pour gérer la lumière, le vent et l'ensoleillement, s'inspirant de l'architecture traditionnelle marocaine.
Architecture : Le projet comprend trois structures parallélépipédiques séparées qui abritent les principales fonctions du lycée, avec des coursives couvertes et des brise-soleil verticaux en béton fibré préfabriqué blanc pour une meilleure gestion de l'ensoleillement.
Durabilité : Le projet vise à créer un confort thermique et acoustique optimal pour les élèves et les enseignants, tout en réduisant la consommation énergétique et en intégrant des éléments de verdure, comme un jardin sur le toit.
Récompenses : ARPIO Architects a remporté le concours international organisé par l'Ambassade de France et l'AEFE pour ce projet lauréat du palmarès prix AFEX 2023.
Surface et coût : Le projet couvre une surface de 7 440,30 m² et a coûté 53 millions de dirhams.
L’architecture scolaire durable au Maroc doit d’abord être contextuelle, sensible au climat, adaptée aux ressources locales, et centrée sur l’usager. Le label devient alors un complément, non un substitut, à l’intelligence du projet.
Ce type de réalisation prouve qu’il est possible d’atteindre des niveaux élevés de performance énergétique et de qualité spatiale sans nécessairement recourir à une certification coûteuse. Toutefois, des labels comme EDGE ou HQE peuvent être envisagés à une phase ultérieure, comme outils de valorisation ou de reconnaissance, et non comme des fins en soi.
Autres projets scolaires durables en Afrique :
1. École primaire de Gando (Burkina Faso)
Architecte : Diébédo Francis Kéré
Maîtrise d’ouvrage : Association « Schulbausteine für Gando »
Particularités :
Construction en briques d’argile locales
Toit en tôle surélevé favorisant la ventilation naturelle
Participation communautaire à la construction
Prix Aga Khan pour l’architecture (2004)
Source : Jeune AfriqueGoodPlanet mag'+5Le Journal Des Arts+5Jeune Afrique+5Wikipédia+8Agence Ecofin+8Le Journal Des Arts+8Jeune AfriqueWikipédia+3Wikipédia+3Le Journal Des Arts+3
2. Makoko Floating School (Lagos, Nigeria)
Architecte : Kunlé Adeyemi (NLÉ Architects)
Particularités :
École flottante en bois adaptée aux zones inondables
Équipée de panneaux solaires et de récupérateurs d’eau de pluie
Structure modulaire et reproductible
Source : Le Journal Des ArtsLe Journal Des Arts+1Wikipédia+1holcimfoundation.org+1Le Journal Des Arts+1
3. Centre d’accueil pour enfants Xewa Sowé (Bénin)
Architecte : L’Harmattan Architecture
Maîtrise d’ouvrage : Oasis N'Djili asbl
Particularités :
Conception adaptée aux climats chauds
Lauréat du prix Énergie & Climats chauds aux Green Solutions Awards 2020-21
Source : Construction21Le Journal Des Arts+8Construction21+8Construction21+8
4/ Une analyse comparative entre projets avec et sans certification thermique
🔍 Analyse comparative : Labels thermiques vs Approche bioclimatique contextuelle
Reconnaissance institutionnelle
✔️ Fort crédit auprès des bailleurs (AFD, UE, OCP, AEFE)
❌ Faible valorisation officielle
Un label facilite les financements, concours, appels à projets
Suivi de la performance
✔️ Méthodologie structurée, simulation thermique dynamique, ACV
❌ Souvent basé sur l’expérience ou l’intuition
Sans outils, la performance réelle reste floue
Adaptation climatique
⚠️ Méthodes importées parfois mal calibrées (exigences sur l’isolation, absence de valorisation de l’inertie)
✔️ Approche empirique adaptée (cours ouvertes, matériaux massifs, ventilation naturelle)
HQE Maroc est un bon compromis, mais EDGE reste plus flexible
Coûts de certification
❌ Coûteux (ingénierie, audits, certification finale)
✔️ Aucun surcoût direct
EDGE reste économique (approche simplifiée pour pays en développement)
Matériaux locaux
⚠️ Parfois pénalisés dans les grilles standards
✔️ Intégrés naturellement à la démarche
Nécessité d’adapter les référentiels aux ressources marocaines (terre, pierre, bois, tadelakt)
Formation des intervenants
✔️ Implique une montée en compétence des BET et MOA
❌ Approche artisanale ou architecte-dépendante
Nécessite un effort de vulgarisation et de formation des équipes locales
Confort des usagers (été/hiver)
✔️ Pris en compte avec indicateurs précis (température, lumière, bruit, ventilation)
✔️ Bien traité si l’architecte est expérimenté
Les solutions passives traditionnelles fonctionnent très bien dans les zones chaudes et sèches
Image et communication
✔️ Forte visibilité à l’international
⚠️ Moins valorisable médiatiquement
Le label devient un outil politique, surtout pour des écoles pilotes ou diplomatiques
Le projet Descartes démontre qu’une architecture scolaire performante, confortable et durable peut être conçue sans certification thermique formelle, à condition d’être ancrée dans une compréhension fine du climat, des usages scolaires, et des matériaux adaptés.
Les labels sont des outils, mais pas une fin en soi. Ils peuvent aider à structurer un projet ou à répondre à une stratégie institutionnelle, mais ils ne remplacent jamais l’intelligence du projet.
5. Vers une nouvelle culture de projet scolaire au Maroc
L’importance du diagnostic climatique, social, fonctionnel
Valorisation du bon sens constructif et des solutions vernaculaires
Former les MOA et MOE à la culture bioclimatique, même sans label
Le vrai label d’un projet d’école réussi est celui que lui accordent ses usagers : confort, lumière, silence, qualité de l’air, sentiment d’appartenance. Le Maroc dispose déjà d’un patrimoine architectural et climatique capable de porter cette excellence, même sans certification.